Le tableau...

"La Musica" est une huile sur toile peinte par Luigi Russolo en 1910 et 1911. Elle mesure 220 cm de haut pour 140 cm de large.

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Ce tableau représente un pianiste à contre jour, devant son instrument. Les auditeurs sont représentés par des masques de différentes couleurs, aux expressions exagérées et une arabesque bleutée émane du centre,

Russolo peint ici un agencement des vastes surfaces drapées de bleu clair, bleu sombre, rouge, avec quelques accents de jaune, de violet, de vert et d’orange. Le peintre joue avec les effets de transparence, le contre-jour mystérieux du personnage central. L’emploi de couleurs très saturées, par grandes surfaces opposées (chaud-froid), est rendu plus efficace encore par une touche lisse et fondue, propre à Russolo ; les contrastes chromatiques brillants accentuent le mouvement excentrique de l’image.

Russolo conçoit sa toile comme une rosace rayonnant autour d’un foyer d’énergie centrale ; la représentation s’organise circulairement et en profondeur derrière ce foyer.

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Cette toile fit scandale pour son « mauvais goût » lorsqu’elle fut exposée à Milan en 1911. Le problème du sujet, pourtant, n’a pas aux yeux des futuristes l’importance que la critique a généralement voulu lui donner, le groupe, surtout à ses débuts, ne se prive d’aucune représentation, fût-elle « passéiste », quitte à la traiter de façon agressive.


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Le peintre


Luigi Russolo est un peintre et musicien italien né en 1885 à Purtogruaro, Venise et mort en 1947 à Cerro di Laveno. C'est un des pères de la musique bruitiste.

Après une assez brève expérience musicale, il adhère au futurisme en signant le Manifeste des peintres futuristes (11 février 1910) et le Manifeste technique de la peinture futuriste (11 avril 1910).

Il participe aux expositions futuristes en traitant de thématiques liées à la ville, à la vie nocturne, à la vitesse, au travail, au portrait. Son langage plastique est assez varié (voir quelques uns de ses tableaux réalisés entre 1910 et 1913 : "Eclairs", "Souvenir d'une nuit", "Dynamique d'une automobile", "Solidité de la brume
).

Le 11 mars 1913, il publie un manifeste intitulé L'art des bruits, qu'il dédie à Pratella et où il présente ses théories sur l'utilisation du son-bruit. Il réalise avec Ugo Piatti de spectaculaires machines sonores qui préfigurent ce que sera plus tard la musique concrète et la musique électronique. Il abandonne ainsi la peinture pour se concentrer sur la musique. Les concerts futuristes qu'il dirige, notamment à Paris en 1921, attirent un public nombreux, parmi lesquels Stravinski, Ravel, Casella et Mondrian.

"...Mais l'avènement du fascisme et son refus d'y adhérer exclura rapidement Russolo de l'activité que les futuristes développent durant cette période (1925). Ceux-ci se tournent vers des musiciens comme Pratella qui va quitter peu à peu le mouvement...." Dictionnaire du futurisme (Bompiani)

En réalité, Antifasciste, Russolo s'exile à partir de la fin de 1927 à Paris où il se lie avec Fanny Efter jusqu'à son retour en Italie en 1939.


Quelques témoignages dans L'art des bruits (Edition l’âge d'homme) :

- Véra Idelson : "J'ai connu personnellement Russolo au temps de la pantomime futuriste. C'était un homme très intelligent, d'un esprit subtil,...Russolo était très antifasciste - cela ne pouvait pas être autrement, vu sa grande intellectualité et sa haute probité morale....".

- Nino Frank : "Russolo avait des sentiments antifascistes, à l'encontre des autres futuristes, qui avaient presque tous suivi Marinetti en s'inscrivant au parti. Je crois bien me rappeler que cette opposition au fascisme était un des motifs principaux de son émigration à Paris. Mais c'était, si je puis dire, un antifascisme purement sentimental, comme on pouvait l'attendre d'un idéaliste tel qu'était Russolo : il ne s'est jamais mêlé d'une action directe. Et il ne parlait pas souvent de la question. Du reste, une preuve de l’antifascisme de Russolo est donnée par notre amitié et la fréquence avec laquelle nous nous voyons : entre 1928, quand je coupe les ponts avec l’Italie, et 1933, où je pars me soigner en sanatorium et cesse donc de voir Russolo, je suis souvent attaqué par la presse fasciste et la plupart de mes amis italiens oublient mon adresse...Or, c'est justement la période de la grande amitié avec Russolo."

C'est le 28 décembre 1929 que Russolo donne son dernier concert public, présenté par Varèse, au cours du vernissage d'une exposition de peintres futuristes à la Galerie 23, à Paris.

[pas d'informations trouvées sur sa vie à son retour en Italie en français, et je ne parle pas italien...]

biographie plus complète ici
l'histoire du futurisme

Manifeste du futurisme

1. Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité.

2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l'audace, et la révolte.

3. La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensive, l'extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.

4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse.Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive...
une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.

5. Nous voulons chanter l'homme qui tient le volant dont la tige idéale traverse la terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite...
C'est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd'hui le Futurisme parce que nous voulons délivrer l'Italie de sa gangrène d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires...

F. T. Marinetti

Publié par le Figaro le 20 février 1909.

Mon avis...

J'ai choisi cette oeuvre d'art car elle s'inscrit dans un mouvement artistique que j'aime bien, le futurisme (plus sur le plan de la peinture que la sculpture). J'aime beaucoup ce mouvement car il est plutôt hétérogène : on y retrouve des oeuvres représentatives et d'autres abstraites, où beaucoup de textures différentes se côtoient, on y retrouve souvent le journal, symbole de l'éphère, qui apporte une notion de temps à l'oeuvre.

Alors pourquoi avoir choisi cette oeuvre, où ne figure qu'une seule texture, la peinture à l'huile ?
Cette oeuvre représente un pianiste à contre-jour, sur un fond très coloré.
Le piano est un instrument que j'apprécie beaucoup, et le contraste du tableau me fait penser à la pratique de la musique. Ainsi, les couleurs sombres représenteraient la difficulté d'apprendre à jouer et les couleurs vives le plaisir d'ecouter un morceau bien interprété. Ce contraste peut aussi faire penser l'opposition de la mort et de la vie. Le pianiste utilise son énergie pour faire vivre la musique et en faire profiter les autres, c'est une sorte de sacrifice. Cela me touche beaucoup, car on ne se rend pas forcément compte, en écoutant un musicien, que son morceau est l'aboutissement de longues heures qu'il lui a fallut sacrifier pour arriver à ce niveau.

De plus, j'associe ce tableau à Carmina Burana. Cette musique, très nuancée, commence forte mais plutôt lentement, avant de connaître un moment beaucoup moins fort, et plus rapide et dont l'intensité et le volume sonore augmentent crescendo. Le tempo s'accélère, et le morceau fini fortissimo. Pour moi, ce morceau est la représentation de la vie d'un homme, la naissance est un coup d'éclat, vient ensuite la construction d'une vie, pierre par pierre, l'homme s'affirme en grandissant, toujours plus fort, toujours plus haut... C'est ensuite l'apothéose, les dernières minutes de sa vie, l'homme sent qu'il va partir, il choisit de terminer sa vie de façon à ce que subsiste un souvenir imposant, il donne toute son énergie pour atteindre ce but, avant de mourir, la tête haute.

La spirale bleue du tableau est la représentation symbolique de cette mélodie que le pianiste joue, et qui entoure les auditeurs, créant des sentiments différents suivant la personnalité de celui qui l'entend. Les masques de différentes couleurs sont autant de sensations que peut faire naître la musique.



En regardant bien le visage du pianiste, on remarque que ce n'est pas seulement sa silhouette qui a été peinte. En retouchant l'image avec un logiciel photo (correction gamma +), on peut en effet voir l'expression du musicien, qui a l'air concentré sur ce qu'il joue. Ce qui semble au départ être le corps de l'artiste est en fait une morphologie étrange. En effet, le personnage possède cinq bras, et donc cinq mains, toutes posées sur l'instrument. L'auteur a peut être voulu y représenter la virtuosité de celui-ci, comme s'il jouait aussi bien que s'il avait plus de bras qu'une personne normale, ou bien Russolo a-t-il représenté la vitesse du pianiste, en peignant avec un effet de transparence, comme sur le tableau de Giacomo Ball, Dynamisme d’un chien en laisse, (1912) . Il est évident que Russolo n'a pas pu s'inspirer de ce tableau, l'allusion à celui-ci étant juste un exemple qui illustre bien ma pensée. Le visage du pianiste semble confirmer ma supposition : son coté droit est flou, comme si le musicien avait bougé la tête.